Notre
hypothèse sera celle-ci : les images de l’art - si simples, si
« minimales » soient-elles - savent présenter la dialectique
visuelle de ce jeu où nous avons su (mais nous l’avons oublié) inquiéter notre
vision et inventer des lieux pour cette inquiétude. Les images de l’art savent
produire une poétique de la « présentabilité » ou de la « figurabilité »
capable de relever l’aspect régressif noté par Freud à propos du rêve,
et de constituer cette « relève » en une véritable exubérance
rigoureuse de la pensée. Les images de l’art savent en quelque sorte compacifier
ce jeu de l’enfant qui ne tenait qu’à un fil, et dès lors elles savent lui
donner un statut de monument, quelque chose qui reste, qui se transmet, qui se
partage (fût-ce dans le malentendu).
Georges Didi-Huberman, Ce
que nous voyons, ce qui nous regarde
L’art
critique doit négocier entre la tension qui pousse l’art vers la
« vie » et celle qui, à l’inverse, sépare la sensorialité esthétique
des autres formes d’expérience sensible. Il doit emprunter aux zones
d’indistinction entre l’art et les autres sphères les connexions qui provoquent
l’intelligibilité politique. Et il doit emprunter à la solitude de l’œuvre le
sens d’hétérogénéité sensible qui nourrit les énergies politiques du refus.
C’est cette négociation entre les formes de l’art et celles du non-art
qui permet de constituer des combinaisons d’éléments capables de parler deux
fois : à partir de leur lisibilité et à partir de leur illisibilité.
Jacques Rancière, Malaise dans
l'esthétique