Il
ne s’agit ni plus ni moins, en effet, que de repenser notre propre
« principe espérance » à travers la façon dont l’Autrefois rencontre
le Maintenant pour former une lueur, un éclat, une constellation où se libère
quelque forme pour notre Avenir lui-même. Bien que rasant le sol, bien
qu’émettant une lumière très faible, bien que se déplaçant lentement, les
lucioles ne dessinent-elles pas, rigoureusement parlant une telle constellation
? Affirmer cela sur le minuscule exemple des lucioles, c’est affirmer que dans
notre façon d'imaginer gît fondamentalement une condition pour notre façon de
faire de la politique. L’imagination est politique, voilà ce dont il faut
prendre la mesure.
Georges Didi-Huberman, Survivances des lucioles
La
politique advient lorsque ceux qui « n’ont pas » le temps prennent ce
temps nécessaire pour se poser en habitants d’un espace commun et pour
démontrer que leur bouche émet bien une parole qui énonce du commun et non
seulement une voix qui signale la douleur. Cette distribution et cette redistribution
des places et des identités, ce découpage et ce redécoupage des espaces et des
temps, du visible et de l’invisible, du bruit et de la parole constitue ce
j’appelle le partage du sensible. La politique constitue à reconfigurer le
partage du sensible qui définit le commun d’une communauté, à y introduire des
sujets et des objets nouveaux, à rendre visible ce qui ne l’était pas et à
faire entendre comme parleurs ceux qui n’étaient perçus que comme animaux
bruyants.
Jacques Rancière, Malaise dans
l'esthétique
Il va de soi
- non seulement parce que Pasolini l’a répété des années durant, mais encore
parce que nous pouvons chaque jour en faire l’expérience - que la danse des
lucioles, ce moment de grâce qui résiste au monde de la terreur, est la chose
la plus fugace, la plus fragile qui soit.
Ce
n’est
pas dans la nuit que les lucioles ont disparu. Quand la nuit est au plus
profond, nous sommes capables de saisir la moindre lueur, et
c’est l’expiration même de la lumière qui nous est encore visible dans sa traîne,
si ténue soit elle. Non, les lucioles ont disparu dans
l’aveuglante
clarté des « féroces » projecteurs : projecteurs des miradors, des
shows politiques, des stades de football, des plateaux de télévision.
Georges Didi-Huberman, Survivances des lucioles