5 février 2013

            Il ne s’agit ni plus ni moins, en effet, que de repenser notre propre « principe espérance » à travers la façon dont l’Autrefois rencontre le Maintenant pour former une lueur, un éclat, une constellation où se libère quelque forme pour notre Avenir lui-même. Bien que rasant le sol, bien qu’émettant une lumière très faible, bien que se déplaçant lentement, les lucioles ne dessinent-elles pas, rigoureusement parlant une telle constellation ? Affirmer cela sur le minuscule exemple des lucioles, c’est affirmer que dans notre façon d'imaginer gît fondamentalement une condition pour notre façon de faire de la politique. L’imagination est politique, voilà ce dont il faut prendre la mesure.
Georges Didi-Huberman, Survivances des lucioles


            La politique advient lorsque ceux qui « n’ont pas » le temps prennent ce temps nécessaire pour se poser en habitants d’un espace commun et pour démontrer que leur bouche émet bien une parole qui énonce du commun et non seulement une voix qui signale la douleur. Cette distribution et cette redistribution des places et des identités, ce découpage et ce redécoupage des espaces et des temps, du visible et de l’invisible, du bruit et de la parole constitue ce j’appelle le partage du sensible. La politique constitue à reconfigurer le partage du sensible qui définit le commun d’une communauté, à y introduire des sujets et des objets nouveaux, à rendre visible ce qui ne l’était pas et à faire entendre comme parleurs ceux qui n’étaient perçus que comme animaux bruyants. 
Jacques Rancière, Malaise dans l'esthétique


            Il va de soi - non seulement parce que Pasolini l’a répété des années durant, mais encore parce que nous pouvons chaque jour en faire l’expérience - que la danse des lucioles, ce moment de grâce qui résiste au monde de la terreur, est la chose la plus fugace, la plus fragile qui soit.

            Ce n’est pas dans la nuit que les lucioles ont disparu. Quand la nuit est au plus profond, nous sommes capables de saisir la moindre lueur, et c’est l’expiration même de la lumière qui nous est encore visible dans sa traîne, si ténue soit elle. Non, les lucioles ont disparu dans l’aveuglante clarté des « roces » projecteurs : projecteurs des miradors, des shows politiques, des stades de football, des plateaux de télévision.

Georges Didi-Huberman, Survivances des lucioles