19 mars 2012

Mon corps pleure et il n’y a pas de mots
Rodrigo Garcia

Ce qui s’est passé à Toulouse en ce début de matinée me fait reprendre ce journal. Je dois passer au dessus de ma peine et de mon inquiétude pour retrouver les mots. 
Je m’explique…
J'ai rencontré Jean-Louis Carausse en 1989 à l'occasion du premier spectacle de la compagnie, Les danseuses d'Izu. Ce fut le début d'une longue collaboration puisque Jean-Louis a conçu par la suite la lumière de Na de Rezvani, Été d'Edward Bond, Champion de jeûne d'après Rozewicz, In situ de Patrick Bouvet, Extermination du peuple de Werner Schwab, La furie des nantis d'Edward Bond, Le petit chaperon rouge de Joël Pommerat, Direct de Patrick Bouvet, entre autres...
Je l'ai entraîné avec moi à Aix-en-Provence pour les premières créations de Philippe Combes, La ballade des acolytesMinotaureAstérios, puis à La Villette pour Artefact d'Abdul Djouri.
Nous avons partagé les mêmes tables et les mêmes hôtels à Angoulême, Bastia, Tarbes, Quimper, Sens, Paris, Foix, Belfort, Biarritz, Saint-Quentin en Yvelines, Sète...
Notre dernière collaboration était sur Opus 1 et Opus 2.
Jean-Louis s'est défenestré il y a une semaine. Il est toujours entre la vie et la mort, plongé dans un coma artificiel.
Parlera-t-on un jour du suicide des intermittents du spectacle ? Parlera-t-on un jour de la difficulté des professions appartenant au champ de l'intermittence avec les bons mots ?
Nous avons tous entendu parler des employés, cadres et techniciens de France Télécom, Renault, Pôle Emploi ou tout récemment La Poste qui se suicident sur leur lieu de travail.
Notre lieu de travail est partout, notre lieu de travail est éphémère...
Nous laissons des traces dans la tête des spectateurs, notre lieu de travail est la tête des spectateurs, leur âme, leur sensibilité, mais aussi leur corps et leur cœur...
Nous travaillons pour les faire rêver, mais aussi pour élever leur âme, pour émouvoir leur âme, mais aussi pour les interroger, mais aussi pour leur faire rencontrer des idées dont ils ne soupçonnaient pas l’existence, pour leur poser des problèmes...
Nous avons des devoirs, des responsabilités, des engagements ; qu'on respecte nos droits !
Qu'on nous laisse faire ! Qu'on nous lâche !
Concernant les événements de ce matin, la « tuerie de Toulouse » comme l’appellent désormais les médias, je suis troublé de voir à quel point la similitude avec ce qu’écrit Angélica Liddell dans les premières répliques de Mais comme elle ne pourrissait pas… Blanche-Neige est grande.
Alors les mots, ce sont ceux de Enrico Casagrande et de Daniela Nicolo que j’ai envie de prononcer ce soir…
- Et nous, qu'allons-nous faire ? Allons-nous revenir sur scène...?
- C'est la seule chose que nous pouvons faire maintenant.